Serait-ce une véritable révolution qui est en route avec l’industrialisation de la construction ? Telle est la question ouverte que posait Pascal Chazal en 2018, fondateur notamment du magazine HORS-SITE et engagé dans la construction bois et industrialisée depuis plus de 30 ans. Dans sa réflexion, l’organisation et les méthodes du passé en matière de construction ne fonctionnent plus. La France doit s’adapter aux nouveaux enjeux de la construction du XXIème siècle et trouver de nouvelles approches. À cette même période, fin 2018, le ministre du Logement de l’époque ; Julien Denormandie, a chargé Bernard Michel et Robin Rivaton, respectivement président et directeur général de Real Estech, de constituer un rapport sur la construction industrialisée dite hors-site. Remis en 2019 au ministère, ce dossier tant attendu a finalement été mis à jour et rendu public le 18 février dernier. Sans surprise, les deux militants de l’innovation qualifient la construction hors site comme une « opportunité pour le secteur de la construction » avec de « nombreux atouts » où « 80 à 85% des travaux pourraient être réalisés en usine » contre 10 % à peine actuellement.
Nous vous proposons à travers cet article, une rapide synthèse de ce rapport résultant à la fois d’un état des lieux du secteur de la construction, une analyse de l’émergence du hors site et des bénéfices attendus en France. Pour renforcer leurs positions, Bernard Michel et Robin Rivaton ont également dressé une liste de 14 propositions en faveur d’une industrialisation de la construction selon cette approche « hors site ». Pour consulter le rapport dans son intégralité, rendez-vous ici
Un état des lieux
Les besoins de construction aujourd’hui sont immenses mais pourtant, produire n’a jamais été aussi difficile. Faiblesses des gains de productivité, retard du développement du progrès technique et de la transformation numérique, hausse des coûts de construction, externalités négatives, … nombreuses sont les causes pouvant expliquer ce phénomène qui intervient à un moment où la crise du logement en zones denses devient de plus en plus difficile à supporter.
Le recours à la construction industrialisée serait une avancée comme une solution pour améliorer l’efficacité du secteur et présenterait de nombreux atouts. Elle permettrait de mieux contrôler la qualité, réduire les coûts de construction, réduire les délais notamment grâce à la production et à l’assemblage en usine. La construction hors site permettrait également de construire plus durablement avec une meilleure gestion des ressources. Le secteur serait l’un des premiers responsables des émissions de gaz à effet de serre. Malgré les progrès accomplis, le secteur du bâtiment représenterait encore 20 à 25% des émissions en France et la construction générerait près d’un tiers des déchets de l’ensemble de l’économie à l’échelle mondiale.
Le secteur de la construction fait également face à des problèmes liés aux ressources humaines. En effet, la main d’œuvre serait incontestablement en phase de vieillissement accéléré sans compter le turnover très important. Seuls 35% des employés du secteur de la construction justifient d’une ancienneté de plus de dix ans, contre 50% dans l’industrie et 45% dans le tertiaire. En France, les entreprises du bâtiment constatent des difficultés à recruter avec de moins en moins de nouveaux talents attirés par ce secteur au fil des années. Les conditions de travail encore difficiles peuvent expliquer en partie cette pénurie de main d’œuvre. En effet, malgré les progrès techniques et technologiques de ces dernières années, le secteur du bâtiment et des travaux publics demeure le secteur d’activité présentant le plus haut niveau de risque. Accidents du travail, maladies professionnelles, troubles musculosquelettiques, exposition à des produits chimiques et cancérogènes…. les inconvénients sont nombreux. Rajoutons à cela les conditions météorologiques parfois difficiles et les nombreuses nuisances sonores pouvant causer des troubles de l’audition sur le long terme. Néanmoins, ces nombreux inconvénients sont contrebalancés par un certain nombre d’éléments comme l’autonomie et le sens des missions, particulièrement appréciés par les salariés du secteur. Après tout, le secteur de la construction affiche des résultats records en matière de taux d’absentéisme (estimé à 3.9% en 2016).
Pour reprendre les mots de la conclusion de cet état des lieux : « la construction va changer profondément dans les prochaines années sous la pression du manque de main d’œuvre et de la réduction des émissions carbone. Le manque de ressources qualifiées est cité comme première raison d’adoption de technologies de construction industrialisée ces trois dernières années (72%), devant la pression sur les coûts (67%), la pression sur les délais (64%), de meilleurs usages (31%) et les enjeux de sécurité (28%). […] L’intégration du coût complet carbone du bâtiment aura des répercussions majeures tant les financeurs traditionnels de la construction neuve que sont les banques et les assureurs sont engagés dans des trajectoires ambitieuses de réduction de leur empreinte carbone.»
Une émergence soulignée
L’industrialisation est loin d’être un phénomène nouveau dans le secteur de la construction. Entre 1908 et 1940, Sears Roebuck, le spécialiste américain de la vente par correspondance, a vendu plus de 70 000 maisons en kit uniquement sur catalogue. Le résidentiel reste le principal produit immobilier pour les acteurs de la construction industrialisée. Ceci représenterait plus des trois quarts du marché mondial de la construction hors site selon l’estimation de Real Estech. L’industrie de la préfabrication se diversifie d’année en année avec l’apparition progressive de nouveaux acteurs. Depuis janvier 2021, 3 sociétés innovantes de construction industrialisée ont levé des fonds. L’une aux Etats-Unis, l’autre en Espagne et la dernière en France à savoir la start-up Vestack qui a levé 2.6 millions d’euros. Le secteur se diversifie également en dehors de ce schéma de résidence individuelle pour devenir une alternative crédible dans les cœurs des villes. Hôtels, bâtiments publics, extensions, écoles, aéroports… de nombreuses infrastructures font de plus en plus l’objet de méthodes constructives préfabriquées utilisant divers matériaux et méthodes de fabrication.
Néanmoins, toujours selon le rapport, la construction industrialisée ne peut se développer dans le bon sens, sans l’intervention des pouvoirs publics. « À l’exception des Etats-Unis où le mouvement est à l’initiative d’entrepreneurs et d’investisseurs, dans tous les pays où la construction industrialisée s’est développée, les pouvoirs publics y ont joué et jouent encore un rôle considérable. »
Pour appuyer son positionnement, le rapport évoque notamment l’exemple de la Belgique. « En Belgique des organismes de filières aidés par l’Etat, comme l’Institut belge de recherche en construction, encouragent volontairement la recherche de productivité. En dépit d’un coût du travail supérieur de 4% à ses voisins français, allemand ou néerlandais, les coûts unitaires salariaux du secteur de la construction sont 15% inférieurs grâce à une très forte productivité. Le pays s’est spécialisé dans la préfabrication béton, un tiers du béton utilisé en Belgique répondant à ce mode de production. Cette productivité offre une compétitivité internationale puisque le pays exporte entre 30 et 40% de sa production »
Des bénéfices à attendre
Construire plus efficacement, construire plus vite et plus respectueusement, construire mieux, construire plus durablement. Le rapport souligne et détaille dans une troisième partie chacun des bénéfices qu’offriraient la construction industrialisée. Au-delà du prix et de la recherche de gains de productivité, la qualité principale de cette construction serait l’amélioration de la rapidité des délais de construction. Pour un projet réalisé en hors site, entre 80 et 95% des travaux sont réalisés en usine ce qui permet de réduire les déplacements, l’épuisement des ressources naturels mais également de réduire le risque d’imprévus et d’avoir, in fine, des chantiers plus prévisibles. Les délais de construction sont parfois divisés par 2 par rapport à la méthode constructive traditionnelle.
Les processus industrialisés permettraient également d’assurer une qualité constante avec des contrôles plus fréquents et des solutions pour pallier les éventuels problèmes avant même l’expédition sur site final. L’amélioration de la qualité passe également par l’amélioration des conditions de travail où les salariés auront tout le matériel de manutention et l’espace nécessaire pour la manipulation de charges lourdes, venant ainsi réduire les risques d’accidents et de séquelles physiques liées à l’activité. Qui dit amélioration de la qualité dit donc réduction des risques de litiges post construction, des demandes de reprise et le recours aux assurances décennales. Ceci vient donc faire baisser le coût de l’assurance dans la construction en amont et les frais juridiques en aval.
Pour finir, l’un des bénéfices mis en lumière les plus certains de ce type de construction concerne l’aspect durabilité. Les bâtiments issus de la construction industrialisée sont flexibles et modulables dans le temps, même après installation sur site final. Au fil de leur évolution, les bâtiments peuvent ainsi être agrandis, réduits et même remplacés. « … l’idée d’une meilleure qualité de production initiale et de la capacité de remplacer un des modules défectueux ou obsolètes permet d’imaginer une durée de vie plus importante et des coûts de maintenance réduits. »
14 propositions
Avant de conclure leur rapport, les deux experts, Bernard Michel et Robin Rivaton ont tenu à dresser une liste de 14 propositions pour favoriser et améliorer le mode de construction hors site et où les pouvoirs publics ont leur propre rôle à jouer. « Il ne s’agit pas de vanter les bienfaits de la construction industrialisée mais de prendre concrètement des mesures pour soutenir le développement de ces technologies ».
Synthèse réalisée par le site batiweb
■ Révéler le juste coût de la construction : Pour les opérations d’aménagement de grande ampleur, le rapport préconise une présentation des projets avec le coût détaillé de la construction, ou encore un relevé statistique comparant la durée réelle des chantiers et la durée présentée lors du dépôt du projet.
■ Encourager l’innovation industrielle : Est proposée la création d’un référentiel de certification pour les éléments préfabriqués dérogatoire du dispositif standard ; et d’une base de données par les producteurs de la construction industrialisée. Les dérogations accordées dans le cadre de la loi Essoc (Permis de faire et d’innover) pourraient être rendues publiques. Le rapport recommande aussi d’aider, dans le cadre des PIA, jusqu’à 10% de l’investissement des dix premières usines portées par tout acteur de la filière avec un objectif minimal de production équivalent à 1 000 logements ou 50 000 m2 de surface au sol dans des ZRU ou ZRR ; et d’instituer une démarche de standardisation entre les différents acteurs de la filière.
■ Améliorer l’accès à la commande publique : Est préconisé de réviser la loi MOP pour étendre les critères de dérogation, et d’étendre le champ de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relatif aux marchés publics pour faire rentrer les bâtiments publics nécessitant une construction ou rénovation lourde dans le cadre de « l’urgence simple » et de « l’urgence impérieuse ».
■ Aménager le cadre juridique : il va s’agir ici de promouvoir le régime des EPERS (Éléments Pouvant Entraîner la Responsabilité) pour donner un cadre « rassurant et lisible aux industriels et aux donneurs d’ordre ».
■ Structurer la filière de formation initiale et continue en intégrant au sein du RNCP des formations professionnalisantes, certifiantes ou qualifiantes de reconversion ayant trait à la construction industrialisée, et en développant des cours afin de familiariser l’ensemble de la chaine à des techniques.
« Il ne s’agit pas de révolutionner mais d’accompagner le changement. […] Maintenant il faut agir pour transformer ces prémices en une filière forte qui sera capable de faire rayonner les savoir-faire de construction français à l’étranger. Réindustrialisons la France. Par la construction » Bernard Michel et Robin Rivaton (Real Estech)
Pour rappel, l’intégralité du rapport est à retrouver ici sur ce lien.